ANYWAYLAND, 2019
Installation sonore, certificat et protocole d’installation
Utilisant une grande variété de médiums (installation, sculpture, vidéo, œuvre sonore, livre d’artiste, édition et multiple), l’artiste Elsa Werth développe depuis une dizaine d’années une pratique artistique faite de détournement, de déplacement et de contre-usage en prise avec le monde quotidien. Par une grande économie de moyens et souvent avec humour, elle questionne les systèmes socio-économiques qui régissent notre société en produisant des œuvres anti-spectaculaires comme tactique de résistance.
Sous la forme d’une liste, l’installation sonore Anywayland diffuse une suite de 1349 termes récitée par une voix féminine et créée par l’artiste en reprenant « tous les noms communs commençant par la lettre A [en langue anglaise], dans l’ordre alphabétique, auxquels a été systématiquement ajouté le suffixe « land ». Cette liste s’ouvre sur Aland, « A » pris comme simple lettre mais aussi comme article indéfini, A+Land devient alors « Land », pris dans son sens le plus large : toutes les terres. Par l’utilisation du préfixe privatif « a », il peut aussi au contraire évoquer l’absence ou la privation de terre [1]. » Cette longue énumération de mots peut être perçue comme une réflexion sur la façon dont ont été créés les noms des pays, des États et des territoires en langue anglaise, certains noms de pays étant construits sur la même structure que celle utilisée par Elsa Werth. Par le simple ajout de ce suffixe, l’artiste détourne le sens de mots existants pour en créer de nouveaux. Ceux-ci « réunissent différents registres métaphoriques qui évoquent tour à tour la liberté, l’oppression, l’absurdité, la trivialité, l’abstraction, l’exotisme, etc. », explique-t-elle. Avec cette installation sonore, l’artiste fait allusion aux enjeux territoriaux actuels mais questionne aussi notre rapport intime aux lieux. Anywayland répond et poursuit les réflexions développées par l’artiste dans deux œuvres réalisées la même année. Dans Un jour dans Le Monde (4 octobre 2019), elle recrée l’édition du journal Le Monde du 4 octobre 2019 en effaçant tous les éléments textuels pour ne laisser visibles que les noms des pays cités dans les différents articles et les éléments graphiques qui constituent la mise en page du journal. Apparaît alors sous nos yeux une géographie dessinée par l’actualité du jour et par l’importance de ces pays sur l’échiquier politique du moment. Dans la vidéo Color Strip, Elsa Werth compile les drapeaux de l’ensemble des pays existants et les fait défiler à la suite, de gauche à droite. La succession de rayures, de couleurs et de signes crée de nouvelles compositions graphiques et redéfinit les liens entre pays par des connexions inattendues, en nous laissant imaginer un nouvel état du monde.
Marie Vicet, 2025
[1] Conversation avec l’artiste.