Double entendre, 1981

U-matic PAL, noir et blanc, son


Double Entendre: Two Sites Two Times Two Sides (for Roland Barthes) documente une téléperformance réalisée par Douglas Davis (1933-2014) le 16 mai 1981 entre le Whitney Museum of American Art à New York et le Centre Georges-Pompidou à Paris. Au moyen d’une transmission satellite bidirectionnelle, l’artiste met en scène une rencontre transatlantique entre deux amants—Davis lui-même et la comédienne Nadia Taleb—tentant de surmonter la distance—géographique, linguistique, émotionnelle—qui les sépare. Alternant captations en direct et séquences préenregistrées, l’œuvre met en tension la portée globale du broadcast et l’intimité des échanges personnels, offrant une méditation sensible sur les écarts entre connexion technique et communication véritable.



Depuis chaque site, l’action se déploie en parallèle : Davis à New York, Taleb à Paris, tous deux postés face à de grands écrans faisant office de fenêtres virtuelles entre les deux rives de l’Atlantique. À travers ce portail, ils entament un dialogue inspiré des Fragments d’un discours amoureux (1977) de Roland Barthes, explorant le désir et la séparation au-delà des divisions physiques, culturelles et existentielles, au fil d’une relation qui, en l’espace de trente minutes, passe de l’attraction à la répulsion, de la rupture aux retrouvailles. Chacun s’exprime tour à tour dans un jeu d’échos, de répétitions et de traductions du français à l’anglais, où chaque parole se dédouble, se fragmente et se décale, produisant un effet de « double entendre » encore accentué par la transcription simultanée de leurs propos à l’écran et les inévitables latences de la transmission satellitaire. Peu à peu, les contours de leurs identités se brouillent, jusqu’à suggérer que les deux amants ne forment peut-être qu’une seule et même personne. La connexion satellite devient alors un miroir autant qu’un passage, dissolvant encore un peu plus les distinctions entre soi et l’autre, homme et femme, français et anglais.



Finalement, la téléperformance culmine dans un geste ludique d’union transatlantique : à travers un savant montage d’images préenregistrées et l’intervention de doublures, Davis apparaît quittant l’auditorium du Whitney, s’élançant sur Madison Avenue, puis réapparaissant quelques instants plus tard, comme téléporté, sur la place Georges-Pompidou à Paris. Taleb se précipite à sa rencontre et les amants s’embrassent, donnant corps au fantasme central de l’œuvre : l’effondrement des distances.



À la fois récit amoureux et démonstration technologique, Double Entendre détourne le réseau télévisuel satellitaire pour en faire un espace de proximité. L’œuvre, comme la plupart des pièces du cycle télécommunicationnel de Davis, dévoile tout autant les promesses que les impasses d’une utopie de connexion immédiate et universelle.



Clara M. Royer, 2025