Belladonna, 1989

Bande vidéo analogique U-matic NTSC numérisée
4/3, noir et blanc et couleur, son, anglais
12 min 10 s


Dans Belladonna, la cinéaste no wave Beth B compose des portraits filmés combinés à des œuvres graphiques de l’artiste Ida Applebroog, afin de concevoir un programme sur la victimisation des enfants et les violences masculines. Le court-métrage prend la forme de brefs monologues par une distribution composée de plusieurs interprètes présentés comme des « têtes parlantes » : le cinéaste Jonas Mekas, la modiste Judith Solodkin et l’artiste Todd Ayoung, parmi d’autres intervenant·es, récitent des répliques effrayantes extraites de trois sources différentes. La répétition de certaines séquences amplifie l’horreur des propos, entrecoupés par des peintures d’Ida Applebroog, la mère de la réalisatrice. Ces déclarations proviennent de témoignages du meurtrier américain Joel Steinberg, de survivants des expériences menées par le criminel de guerre Josef Mengele et d’études de cas cliniques tirées de l’essai « Un enfant est battu » (1919) de Freud. L’entrecroisement de ces sources crée de nouveaux récits par un système de cut-up cinématographique, tandis que les textes originaux sont récités intégralement dans la seconde partie de la vidéo, révélant les atrocités des discours convoqués. Les sujets abordés dans Belladonna correspondent à l’état d’esprit de la scène no wave des années 1970 et 1980 et de son cinéma – tout aussi brut et agressif que sa musique – lorsque celui-ci « dépeint une réalité que les médias grand public ignorent et que les spectateurs des clubs rock reconnaissent comme la leur. [1] » Une caractéristique visible jusque dans le titre de l’œuvre, qui emprunte son nom à celui d’une plante toxique traditionnellement utilisée par certaines femmes de la Renaissance pour dilater leurs pupilles afin d’obtenir un regard sombre et correspondre à l’un des canons de beauté de l’époque. Le choix de ce titre, jumelé au thème de la vidéo, révèle une réflexion sur la toxicité du regard masculin, que ce soit sur les corps des femmes ou la vie des enfants. L’intérêt pour de tels sujets provient d’une volonté de rompre avec le caractère lisse et édulcoré des standards artistiques selon Beth B, pour qui l’étude des marges permet de soulever la façon dont certains profils « ont été marqués, stigmatisés et jugés par une société qui refuse d’entendre la terreur dans la voix de l’enfant maltraité qui devient ensuite un tueur en série ; qui refuse d'éduquer une société de racistes et de sexistes qui jugent et persécutent les gens en fonction de la couleur de leur peau ou de leur orientation sexuelle ; qui refuse de reconnaître l'extrême disparité économique entre les riches et les pauvres. [2] »


Nicolas Ballet
Décembre 2024

[1] « They [the no wave films] depicted a reality that the mainstream media ignored, and that rock club audiences recognised as their own. » Marc Masters, No Wave, Londres, Black Dog Publishing, 2007, p. 145.

[2] « They have been branded, stigmatized, and judged by a society that refuses to hear the terror in the voice of the abused child who then grows up to be a serial killer; refuses to educate a society of judgmental racists and sexists who persecute people based on the colour of their skin or sexual orientation; refuses to recognize the extreme economic disparity between the wealthy and the poor. » Beth B citée par Joan Hawkins dans Downtown Film & TV Culture 1975-2001, Bristol, Intellect Books, 2015.